Autour du Saint Suaire et la collégiale du Lirey (Aube)

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Préface de Pierre de Riedmatten


Président de l’association « Montre Nous Ton Visage »

Au début de 1980, Dom Luigi Fossati, salésien, recensait déjà plus de 1300 livres ou articles parus depuis1939 sur le Linceul de Turin. Il ne comptait donc pas ceux écrits auparavant, par les pionniers des recherches sur ce linge qui porte une image étrange (révélée par le négatif pris par Secondo Pia en 1898) : dès 1902, le botaniste Paul Vignon publiait en effet les résultats des ses premiers travaux. Il ne comptait pas non plus les ouvrages déjà écrits sur le Signe transmis à notre réflexion par ce linge (comme l’article célèbre de Paul Claudel en 1935). Et, depuis 1980, il est devenu quasiment impossible de compter les très nombreux livres, articles, ou émissions audiovisuelles consacrés à cet objet mystérieux, surtout depuis le test au Carbone 14 de 1988 (qui l’a daté des années 1260 à 1390).

C’est que le Linceul fascine, c’est qu’il dérange, c’est qu’il interroge : ce linge a-t-il pu réellement entourer le corps de Jésus-Christ au tombeau ? Montre-t-il des signes de la Résurrection ? Que nous dit-il ?

Pour tenter de répondre à ces questions majeures, le linge funéraire conservé dans la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin fait l’objet d’études dans tous les domaines possibles de la Science et de l’Histoire.

On ne s’étonnera donc pas de trouver ici une nouvelle étude, sur l’une des facettes encore peu explorées de l’histoire de ce tissu, lequel est arrivé semble-t-il brusquement à Lirey, petit village de Bourgogne, au milieu du XIV° s, mais à une date toujours impossible à préciser.

Jusque dans un passé récent, la question se posait de l’histoire ancienne de ce tissu, dont l’image reste toujours impossible à reproduire, malgré de nombreuses tentatives. Mais les études récentes ont montré :

- qu’il n’y a jamais eu de faussaire identifié (le Professeur Emmanuel Poulle a expliqué en 2007 comment, au début du XX° s, le chanoine Ulysse Chevalier avait volontairement modifié l’interprétation à donner aux bulles du pape Clément VII) ;

- que le tissu conservé à Turin est bien celui qui était profondément vénéré à Constantinople au X° s (il s’agit très probablement du Mandylion, venu d’Edesse en 944) ;

- et que l’histoire de ce Suaire/Mandylion remonte au tout début du I° millénaire, car il a entouré un homme de race sémite, crucifié en Palestine vers l’an 30 (il avait, sur les yeux, des pièces de monnaie émises par Ponce Pilate).

Tout ceci amène d’ailleurs à rechercher comment le test au C 14 de 1988 a pu donner une datation moyenâgeuse du tissu, malgré la compétence des laboratoires (de nombreuses études sont en cours pour tenter de répondre à cette très difficile question).

Jusque dans un passé récent également, on savait peu de choses sur Geoffroy I° de Charny, considéré comme un de ces innombrables petits seigneurs de province (en 1328, nous dit ici Alain Hourseau, Lirey n’avait que « 50 feux », soit environ 180 habitants). Et le mystère s’épaissit quand on constate que ce premier détenteur du Linceul en Europe est mort sans avoir jamais fait aucune allusion au Linceul, lequel n’a été exposé, semble-t-il, qu’après sa mort (en 1356, à la bataille de Poitiers).

Mais les recherches récentes (notamment celles de l’historien Philippe Contamine, sur lesquelles s’appuie parfois ici Alain Hourseau) ont montré au contraire qu’il s’agissait d’un personnage hors du commun. Parti de presque rien (à 30 ans il était seulement bachelier, avec 6 écuyers), il est devenu, grâce à son courage militaire, porte-oriflamme du roi et siégeant en son Conseil secret ; et il fut, entre autres honneurs, nommé chevalier de l’Ordre de l’Etoile et gouverneur de Picardie. Il était apparenté aux plus grandes familles de France, notamment par sa femme (Jeanne de Vergy), descendante des comtes d’Auxois et d’Othon de la Roche, lequel emmena le Linceul à Athènes lors de la 4° croisade, après le sac de Constantinople, en 1204.

Alain Hourseau a eu le courage de plonger dans les archives de l’Aube, mais aussi dans les archives nationales, pour nous donner de nombreux détails : sur le village de Lirey et ses environs (depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours) ; sur l’histoire de la collégiale (depuis la fondation d’une chapelle en bois en 1353, puis la construction de l’église en 1528, jusqu’à sa destruction en 1828 et sa reconstruction en 1896) ; sur les généalogies et les actions des personnes impliquées localement (des plus humbles jusqu’aux seigneurs, en passant par le clergé), et sur les généalogies et les actions des personnes éventuellement impliquées au loin (dans l’empire franc de Constantinople, en Sicile, ou dans le royaume de Morée en Grèce) ; sur les évènements qui ont émaillé cette histoire, de près ou de loin (fondations, testaments, donations et procès, mais aussi chevauchées, batailles, trahisons, pièges, guerres, traités de paix, croisades, en passant bien sûr par les deux captures de Geoffroy de Charny par les Anglais) ; et sur les conditions sociales à la fin du Moyen Age (règles de la chevalerie et déviations à ces règles, mais aussi dévotion religieuse, pèlerinages, culte des reliques,…). Nous pouvons enfin réaliser ce que pouvait être la vie quotidienne de cette époque, quand les épidémies de peste revenaient fréquemment, tuant une très grande partie des habitants (parfois plus de la moitié), ou lorsque les campagnes étaient régulièrement ravagées et pillées, par les troupes armées, par les « grandes compagnies » sans emploi, ou encore par des hordes de brigands. Pour tout cela, Alain Hourseau s’appuie sur une abondante documentation, notamment sur les grands chroniqueurs du XIV° s (Froissart, Joinville, Jean de Venette,…).

Comme beaucoup d’autres livres, celui-ci n’échappera probablement pas à la critique : sur ce sujet tellement complexe et qui suscite de nombreuses hypothèses, quelques erreurs sont sans doute inévitables. Mais pour le spécialiste, outre d’importants détails historiques et la chronologie finale qui résume les principaux évènements, ce livre fait notamment connaître (au dernier chapitre) le rôle des enseignes de pèlerinage (méreaux), et la découverte, en 2009, d’un des moules ayant permis de fabriquer ces enseignes pour la collégiale de Lirey.

N’oublions pas, par ailleurs, que ce tissu continue d’appeler à la réflexion et à la méditation. Ainsi, plus de deux millions de personnes sont venues vénérer le Linceul à Turin en avril-mai 2010, lors de l’ostension demandée par le pape Benoit XVI, cette « occasion propice pour contempler ce visage mystérieux, qui parle silencieusement au cœur des hommes en les invitant à y reconnaître le Visage de Dieu ».

Introduction

L’histoire du saint Suaire a toujours suscité l’intérêt des chercheurs, et par conséquent, celui des fidèles en quête de dévotion. On ne peut pas l’évoquer sans émotion.

Il est certain que cette pièce archéologique soulève bien des interrogations et des controverses depuis plusieurs siècles, même après les dernières analyses scientifiques, censées apporter une crédibilité nouvelle. Les historiens qui se sont penchés sur ce dossier et qui ont publiés un livre, ou un simple recueil, sont innombrables. Si l’on pouvait établir une bibliographie complète du saint Suaire, elle compterait plusieurs centaines de références.

Alors pourquoi un nouveau livre sur ce sujet ? Apporte-t-il des informations nouvelles ?

Assurément. L’histoire du saint Suaire, à Lirey, ne s’arrête pas après son départ. Même éloigné de plusieurs centaines de kilomètres, son souvenir continue à alimenter les caisses de la collégiale, grâce aux pièces de monnaies laissées par les flots de pèlerins. Les chanoines ne désespèrent pas de revoir la relique, un jour, dans leur nouvelle église, bâtie au XVI e siècle. La Révolution marquera un coup fatal, après plusieurs siècles de déclin.

Mais surtout, ce livre est centré sur le contexte local en tenant compte des invasions étrangères, des épidémies, des conditions météorologiques, des courants religieux, des seigneurs de Lirey, des chanoines… qui influencent la vie quotidienne de la collégiale. C’est un pan de notre histoire locale, à travers un petit village rural.

Il est également intéressant de tirer le bilan des dernières découvertes archéologiques, exhumées de terre, et ayant un rapport avec le saint Suaire, à Lirey ou ailleurs. La plus spectaculaire concerne évidemment la présence d’un moule d’enseigne qui témoigne de l’ampleur des pèlerinages et des revenus induits. Des restes de la collégiale sont éparpillés dans le village et aux alentours. La richesse de l’ancienne église du XVI e siècle est disséminée dans les églises voisines, quelquefois d’une manière inconnue. L’un des retables fait la fierté d’un musée situé en dehors de nos frontières…

La difficulté d’un tel ouvrage dépend de la fiabilité des sources, à plus d’un égard. Ils nous parviennent en plusieurs étapes et peuvent être classées en quatre catégories ; littéraires, historiques, iconographiques et scientifiques.

Les plus anciennes sources littéraires sont les Evangiles, avec les récits des témoins oculaires de la mort du Christ. Les textes apocryphes, c’est-à-dire émanant de ceux qui ont pu observer le saint Suaire en un lieu précis, comme par exemple, au cours d’un pèlerinage, sont souvent des compilations de textes et de traditions orales.

Les sources historiques sont assez clairsemées, dans un premier temps. Braulione, l’évêque de Saragosse, signale le suaire pour la dernière fois à Jérusalem, en 651.

Les écrits des chroniqueurs, des croisés Champenois, témoins de la prise de Constantinople, en 1203, comme ceux de Geoffroy de Villehardouin, sont plus « fiables ».

Mais l’histoire redémarre sérieusement plus d’un siècle plus tard, en 1353, dans le petit village de Lirey, à une vingtaine de kilomètres au sud de Troyes, en Champagne méridionale, non loin de la Bourgogne.

Si la présence de cette relique à des milliers de kilomètres de son lieu d’origine semble mystérieuse, il faut maintenant suivre les aventures chevaleresques de Geoffroy de Charny, le seigneur du lieu, pour continuer le cheminement.

Le destin de ce personnage, entièrement dépendant des événements de la guerre franco-anglaise qui vient d’éclater, est véritablement hors du commun ; à la fois chevalier, responsable d’un groupe armé, puis porte oriflamme, homme de confiance comme conseiller du roi et diplomate, auteur d’ouvrages littéraires, et homme de dévotion avec « l’acquisition » du linceul du Christ.

Sa mémoire fut perpétuée par de nombreux chroniqueurs, au nombre desquels nous trouvons évidemment Froissart, qui l’a glorifié en des termes flatteurs : « Uns moult vaillans chevaliers françois liquel se nommoit mesires Joffrois de Cargni ». On sait que Jean Froissart est parfois critiqué sur la véracité des faits, mais sachez qu’il n’hésitait pas à se rendre sur le lieu précis des événements qu’il narrait, pour interroger les témoins, afin de connaître au mieux les détails véridiques.

Dans cette étude, nous suivrons ses antécédents familiaux. Pour cela, il a donc été nécessaire d’élaborer et se comparer tous les arbres généalogiques des grandes familles seigneuriales du XIV e siècle, principalement champenoises et bourguignonnes. Les différents mariages, généralement deux ou trois, au sein de ces familles comportant de nombreux enfants, créent une véritable complexité dans les alliances.

D’abord, peut-on être certain des recherches généalogiques inscrites sur les registres ? Les possibilités d’erreurs sont nombreuses, dues à des problèmes d’écriture, de lecture ou de conservation des documents. Certains schémas sont incomplets, ou différents.

Les fonds de la Bibliothèque Nationale (collection de Champagne, et de Decamps) sont très importants, comme ceux de la papauté d’Avignon, des archives départementales de l’Yonne, de la Côte d’Or et de l’Aube. Ces dernières sont issues de la collection Contassot, de la série I, et de la série 9 G. Elle est entrée en 1856, regroupant les fonds issus de chartriers des chapitres d’une dizaine d’abbayes, de prieurés et d’autres institutions religieuses comme la collégiale de Lirey.

Tout n’est pas si simple, car nous rencontrons également le problème des traductions du latin au français actuel. Une phrase peut avoir aujourd’hui deux significations différentes, et même contradictoires, à partir des locutions ou expressions utilisées à l’époque.

Au début du XVII e siècle, d’autres sources importantes nous proviennent de chercheurs locaux comme Nicolas Camuzat, ou Marie-Nicolas Desguerrois, qui s’intéressent sérieusement à la présence de la relique sur le sol aubois, et consultent les pièces d’archives, conservées à Lirey. Jean-Jacques Chifflet n’hésite pas à voyager pour observer les différents linges funéraires signalés, avant de signer un intéressant ouvrage, en 1624. Chifflet fait une étude comparative entre le saint Suaire et le « linceul » de Besançon.

Le chanoine troyen, Charles Lalore, démontre, en 1877, que le suaire de Lirey est le même que celui de Turin.

L’année 1898 fut un tournant important pour l’histoire du Linceul. Il est exposé pendant huit jours à l’occasion du vingt-quatrième anniversaire du royaume d’Italie. Son ostension attira 800 000 pèlerins. Le 25 mai, l’avocat Secundo Pia essaie de le photographier, mais échoue à cause d’un problème d’éclairage. Trois jours plus tard, il tente un second cliché du Suaire, suspendu sous un verre, au dessus du grand autel, dans la cathédrale de Turin. C’est un succès, le négatif révèle l’image d’un visage. C’est celui que nous connaissons tous.

Cette photographie relance la polémique autour de son authenticité, entre les partisans de la foi, et ceux de la science, alimentant de nombreux débats historiques, le tout dans un climat fortement anticlérical. Certains observateurs concluent à une erreur de l’opérateur photographique, ou expliquent les impressions inversées suite à l’incendie de Chambéry.

Le chanoine Ulysse Chevalier fait paraître plusieurs brochures, à partir de 1900, dans lesquelles il mentionne une trentaine de documents, dont seize pièces, datées entre le 4 août 1389 et le 6 janvier 1390, concernant les litiges entre l’évêque Pierre II d’Arcis et les chanoines.

Il cherche des arguments dans les archives pour contrer l’image photographique, voulant opposer les progrès scientifiques aux archaïques archives de papiers. Il signe un véritable pamphlet, où il remet en cause l’authenticité du suaire, suite aux études du chanoine troyen Lalore. Il milite déjà pour soumettre le linceul à un examen scientifique très poussé. Une médaille de 1000 francs lui est attribuée pour la qualité de son livre, suite au concours des Antiquités de France, organisé par l’Académie des Belles-Lettres.

Ces controverses alimentent des polémiques dont les contenus font l’objet de diverses publications dans des articles de presse. Je passe les détails. Le pape Léon XIII demande instamment de « cesser les attaques contre l’authenticité du Saint Suaire ». L’injonction papale porte ses fruits.

Quant aux sources iconographiques, nous nous attacherons uniquement aux témoignages archéologiques, signalés précédemment, concernant la représentation du saint Suaire sur les enseignes, méreaux et autres médailles.

Je n’ai pas abordé ici, volontairement, les différentes études scientifiques qui ont été réalisées au cours des dernières décennies, et qui ouvrent, de nouveau, le débat de son authenticité. Ceci est un autre sujet.

Cette présente étude n’a donc pas la prétention de répondre aux nombreuses interrogations qui subsistent encore de nos jours, ni de démontrer s’il s’agit, ou non, du véritable saint Suaire, qui a enveloppé le Christ.

On le voit, aussi sérieusement que ce travail de recherche a pu être mené, il comporte assurément des erreurs par rapport à la réalité des faits. Nous ne connaîtrons vraisemblablement jamais la véritable vie de Geoffroy de Charny et de son entourage proche. Nous essayons simplement de nous en approcher au mieux !

Enfin, je veux signaler l’extraordinaire travail de recherche effectué par l’Association MNTV (Montre Nous Ton Visage) qui fête, cette année, le trentième anniversaire de sa fondation. Elle se consacre à l’étude, à la connaissance et à la contemplation du saint Suaire, autour de son président, et éminent spécialiste, Pierre de Riedmatten.

Conclusion

Après la lecture de cette enquête historique consacrée au saint Suaire, sa collégiale et les indices archéologiques qui nous restent, peut-on sérieusement apporter une conclusion, compte tenu des nombreuses interrogations restantes ? Ce sont surtout les péripéties inconnues qui permettent aux adversaires de l’authenticité, de formuler leurs arguments.

Pour tenter d’apporter des éléments de réponses sur son origine, l’Eglise a enfin autorisé de procéder à une analyse scientifique, après un long débat et une hésitation mesurée.

En 1988, trois laboratoires indépendants d’Oxford, de Zürich et de Tucson ont soumis de petits morceaux d’étoffe prélevés sur le saint Suaire à l’épreuve de la datation au carbone 14.

Les conclusions des trois laboratoires furent publiées le 13 octobre 1988. Elles indiquent qu’il daterait du XIII e, ou du XIV e siècle, et plus précisément d’une période comprise entre 1260 et 1390.

Le mystère demeure, et déclenche, à nouveau, une polémique, entre ceux qui acceptent ce verdict en revendiquant qu’il s’agit bien d’une copie, et les autres, prétendant que ces différents voyages, et les manipulations, ont altéré les tissus, au point de perturber le résultat réel. La méthode de datation est, aujourd’hui, remise en cause.

Cependant, ces études ont démontré que ce suaire n’est pas une peinture, mais qu’il avait enveloppé le cadavre d’un homme ensanglanté, après crucifixion. La présence de sang, d’urée et de sueur, a imprimé le linge, par oxydation de la cellulose du lin, mais aussi par « un phénomène de radiation d’énergie », hypothèses plusieurs fois confirmées par des chercheurs depuis 1966. Le sang appartient au groupe AB.

Sur ce corps, on y retrouve toutes les marques de la passion du Christ : les traces de flagellation avec des fouets contemporains du Christ, un crâne meurtri par une couronne d’épines, un côté transpercé par une lance romaine, entre la 5 e et la 6 e côte, et les pieds et les poignets (et non les mains) percés par des clous. L’un des particularités de ce corps est de présenter les mains sans pouce visible. Parmi les nombreuses expériences médicales pratiquées sur des cadavres par le docteur Barbet, dans le but de vérifier l’authenticité du saint Suaire, on note celle qui consista à enfoncer un clou dans la carpe de la main : le pouce se fléchit automatiquement pour s’opposer dans la paume. Il démontre ainsi qu’un faussaire n’aurait pas pu imaginer ce reflexe anatomique, à moins de procéder à la même expérience !

Le linceul, un serge de lin à chevron, en arête de poisson, a bien été tissé par un juif, en Palestine, au premier siècle, comme le prouve la présence de fibres de coton, mêlées aux fils de lin, une espèce très particulière que l’on trouve au Proche-Orient. Les scientifiques constatent des traces de myrrhe et d’aloès, comme il est spécifié dans le récit des Evangiles.

L’analyse des 49 pollens trouvés, confirme également sa présence au Proche Orient, car 29 d’entre eux ne proviennent exclusivement que de cette région, plus précisément près de la mer Morte.

Pourtant, contre toute attente, ces tests scientifiques laissent toujours la place à des énigmes :

S’il ne s’agit pas du Christ, qui est cet homme ?

Comment son image a-t-elle pu s’imprimer de la sorte, comme un négatif photographique ?

Et comment s’expliquer qu’elle soit en trois dimensions, comme la prouvé le professeur Paul Gatineau et une équipe de chercheurs de la NASA ? A noter, qu’il y a un siècle, l’image du saint Suaire fut la première image du monde à être traduite en relief, par Gabriel Quidor, en 1913, grâce à son invention, qui fut ensuite à l’origine des procédés modernes de transmission d’images à distance !

D’autres suaires ont traversé les siècles, comme celui mentionné dans le bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France. Dans la séance du 28 mai 1902, l’historien M. Du Teil présenta un suaire provenant des fouilles d’Antinoë (Sheikh ’Ibada en Egypte), dirigées par M. Gayet, l’année précédente. Cette ville située sur la rive droite du Nil avait été fondée par Hadrien, en 132. Elle fut ensuite le siège d’un évêché dépendant de Thèbes.

Véritable suaire du Christ, ou de l’un de ses contemporains, il n’en demeure pas moins que nous suivons sa trace dès son apparition dans le petit village de Lirey, situé à 20 km au sud de Troyes, en 1353, lorsque la veuve de Geoffroy de Charny procède à la première ostension. Sa présence ne pose aucun doute.

De véritables pèlerinages s’organisent de toute la France et des pays voisins, rivalisant avec les plus grands sanctuaires du royaume, suite aux nombreuses indulgences instituées par les plus hautes autorités du clergé. Mais hélas, l’insécurité liée aux troupes anglo-navarraises qui envahissent le royaume oblige les chanoines à mettre la précieuse relique en sécurité, interrompant ainsi le formidable élan de dévotion qui se mettait en place. Le saint suaire reste caché dans un lieu et des conditions que nous ne connaissons pas exactement.

Les pèlerinages semblent reprendre vers 1388. Après une trentaine d’années de bons et loyaux services, au sein de la communauté, la sainte relique quitte définitivement la collégiale, pour raison de sécurité, encore une fois, avec une multitude d’objets, et deux autres reliques, mystérieusement apparues : un morceau de la « Vraie croix » et un cheveu de la « Sainte Vierge » !

Durant la période comprise entre 1388 et 1418, on remarque une absence totale d’archives. Ont-elles été détruites ? Il est regrettable de ne pas pouvoir disposer d’information, notamment sur les comptes financiers relatifs aux frais de fonctionnement, ou du chiffre d’affaires de la vente des médailles et des enseignes auprès des pèlerins.

Cependant, la découverte fortuite d’un moule d’enseigne, en 2009, sur le territoire de Machy, une commune voisine de Lirey, témoigne de la volonté des chanoines de la mise en place d’un commerce lucratif, autour de « boutiques de souvenirs », comme cela se pratiquait habituellement. Les indices archéologiques viennent se substituer à l’absence de sources écrites.

Ce moule nous éclaire également sur les deux types de représentations iconographiques du saint suaire, rencontrés sur les enseignes et autres médailles. Ils sont différents et correspondent exactement aux deux périodes de villégiature de la relique : la première, à Lirey, et la seconde, dès son arrivée à Chambéry.

A la collégiale, les pèlerinages continuent avec les différentes reliques acquises, comme celles des saints Abdon et Sennen, et les nouvelles indulgences adressées aux fidèles, au début du XVI e siècle. Les lettres de réclamations et les procès intentés resteront sans effet, malgré la construction d’une nouvelle église et de deux magnifiques retables dont l’un fait la fierté du Victoria et Albert Muséum de Londres.

Nous retiendrons que les alliances matrimoniales de Geoffroy de Charny, vaillant chevalier, lettré, mais issu d’une petite noblesse, peuvent expliquer sa fabuleuse carrière diplomatique.

Par contre, on peut noter qu’aucun des seigneurs de la famille de Charny ne sera inhumé à Lirey, contrairement à la convention de la fondation de la collégiale, signée en 1343.

Les troubles révolutionnaires mettent fin à cette merveilleuse aventure. La vie monastique diminuait depuis un certain temps, notamment avec l’émergence d’une nouvelle religion. Avec la destruction des derniers bâtiments et de l’église, suite à la vente des biens nationaux, le glas de la collégiale sonne enfin.

Au cours de ces dernières décennies, la dévotion autour du saint Suaire s’est accrue avec la multiplication des ostensions, organisées par le Saint-Siège. Les photographies exposées dans des lieux saints contribuent à cet élan, sans qu’il soit nécessaire aux fidèles de se déplacer à Turin. Les techniques modernes permettent maintenant de dupliquer l’image. C’est le cas à Brasilia, où j’ai pu admirer une reproduction en grandeur réelle, dans la crypte de la cathédrale moderne, Notre-Dame-de-l’Apparition. Des fidèles y prient en permanence.

Cette image influence l’imagination des personnes. Par exemple, depuis plusieurs années, à Sierck-les-Bains (Moselle) des taches naturelles disposées sur un pan de mur d’une maison du centre ville font graphiquement penser au portrait d’un homme barbu. Il n’en faut pas moins pour y voir le signe mystérieux, une réplique du visage du saint Suaire, et attirer une foule considérable de curieux, devant les caméras du monde entier !

Le petit village de Lirey, connu universellement durant le Moyen-âge, est aujourd’hui complètement oublié. Aucune pancarte, aucun support touristique, n’indique son passé glorieux à l’attention des nombreux visiteurs de notre département ! Pourtant, le saint Suaire est une pièce maîtresse de la chrétienté. Il est vrai qu’il ne reste plus de témoignages authentiques, à part quelques indices et la motte féodale, retirée dans une propriété privée.

Même la majorité des Aubois l’ignore. Ce n’est pas un cas isolé, les trésors de l’Aube sont plus connus à l’étranger, comme par exemple, les ammonites pyriteuses de Villemoyenne, ou le sanctuaire paléochrétien d’Isle-Aumont.

Seule une poignée d’historiens et de cinéastes se rappelle de son existence.

En 1977, David Windsor vint pour la première fois à Lirey réaliser quelques séquences pour son documentaire « The silent witness » (Le témoin silencieux). Dix ans plus tard, Lan Windsor, spécialiste anglais, vint faire un reportage suite aux analyses scientifiques. Enfin, en janvier 1997, ce fut au tour d’une équipe américaine de CBS. Ce dernier reportage fit l’objet d’un petit film VHS, « Histoire d’un tournage », réalisé par Daniel Passet et fut suivi d’une projection publique, le vendredi 16 mai.

Le nom de Lirey apparaît dans des publications que l’on peut qualifier de « fictions ».

C’est le cas du roman de Fédérico Andahazi ; « La cité des hérétiques ». Le récit commence à Lirey avec Geoffroy de Charny qui ramène un drap peint et prétend détenir le vrai saint Suaire. Il bâtit une collégiale pour abriter la relique et assurer sa fortune avec les revenus des pèlerinages. Sa fille Christine vit un amour tourmenté avec un jeune moine. Bouleversant les projets de son père, elle s’implique même dans une reforme religieuse. Les amants sont obligés de s’enfuir en Espagne et créent une ville à l’image de leur désir ou le sexe et l’amour s’expriment en toute liberté !

Plus récemment, Laurent Bidot a signé plusieurs albums de bandes dessinées dans lesquels il relate les pèlerinages de Lirey, dans le tome 1. Les fidèles se rassemblent dans la chapelle en bois pour admirer et prier devant le saint Suaire, suspendu au-dessus de l’autel, après une longue marche. (Les ombres de la relique. Editions Glénat. 2003).

Par contre, je ne sais pas si la croix de chemin, portant le nom « croix de Lirey », située sur la voie romaine de Vannes à Nantes, à la hauteur du village de Theix (Morbihan) a un rapport avec celui de l’Aube. Probablement pas. Elle est réalisée dans un menhir en granite, haut de 2,50 m et datant du Haut Moyen Age, c’est-à-dire avant l’an mil.

La vie en Champagne : numéro 74 – avril / juin 2013.

Alain Hourseau, se fondant sur les avancées de la recherche et les dernières découvertes archéologiques en la matière, propose un panorama des connaissances actuelles sur le Saint Suaire et la collégiale de Lirey. Il apparait que la sécurité de l’un a été fonction de la prospérité de l’autre.
L’auteur s’attache aussi à faire connaître le chevalier Geoffroy de Charny et expliquer le rôle de ce dernier, et de sa famille, dans la présence du suaire à Lirey. De modeste extraction, cet homme de guerre fait preuve d’une bravoure et d’une probité épiques qui lui ont fait gravir les échelons dans l’ost royal pour devenir un familier du souverain. Théoricien de la chevalerie dans trois ouvrages, fondateur sur ses terres d’une collégiale consacrée à Marie, il est la clé qui permet de comprendre ce que le Saint Suaire représente dans ce contexte.
D’autant qu’afin de mettre en perspective cette part selon lui méconnue de l’histoire, Alain Hourseau rappelle les évènements qui jalonnent et expliquent cette époque sur un territoire de France féodal et morcelé.
Cependant, l’ouvrage, dense mais d’un accès rendu ainsi par une écriture simple, dépasse les tribulations de la famille de Charny, des hommes et du suaire, la grandeur et la décadence de la collégiale. Il permet au lecteur de saisir à quel point ces évènements se trouvent imbriqués et concourent à une époque d’effervescence créatrice, de ferveur religieuse et de commerce dynamique sur cette marge de la Champagne Méridionale, aux confins ténus de la Bourgogne.
D’autant qu’à cette fin, des illustrations, reproductions de plans et photos d’œuvres ou paysages complètent significativement le propos d’Alain Hourseau.
RM

Auteur : Alain Hourseau

Editeur : BoD

Parution : 9 octobre 2012

Format : 22 cm x 17 cm

Nombre de pages : 270

ISBN : 9782810625710

Prix : 22,90€ + 4€ (frais d’envois)

Photo de Ian Wilson et Alain Hourseau

Ian Wilson, le grand spécialiste du saint Suaire, en compagnie de l’auteur, très intéressé par la découverte du moule d’enseigne

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